IA et Data RH : comment la fonction RH peut-elle s’en emparer avec justesse ?
Confrontés à une avalanche de données et aux avancées fulgurantes de l’IA, les professionnels des RH oscillent entre volonté de croire en des promesses ambitieuses et interrogations légitimes. Pourtant, l’adoption de ces technologies se heurte encore à des freins culturels et organisationnels. Selon une étude de l’institut Gartner, 76% des décideurs RH estiment que l’absence d’adoption de solutions d’IA dans les 12 à 24 prochains mois risque de leur faire prendre du retard par rapport à la concurrence*. Mais quelle feuille de route suivre pour tirer pleinement parti de ces technologies ? La data représente-t-elle une alliée stratégique ou un risque pour la fonction RH ?
Aux côtés d’Aurélien Fenard, Directeur de la Transformation Digitale et des Données RH chez France Travail, découvrons comment repenser les processus et les compétences pour faire de l’IA et de la data des alliées… au service de l’humain.
Selon vous, où en sont les entreprises dans l’exploitation de leurs données RH aujourd’hui ?
Les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, disposent aujourd’hui d’une vaste quantité de données RH. Pourtant, leur exploitation stratégique reste souvent limitée. Une part importante de ces données, appelées “Dark Data”, reste inexploitée. Elles sont stockées et sécurisées, ce qui a un coût, mais sans apporter de réelle valeur ajoutée
Cela dit, nous pouvons observer qu’une évolution est en marche. Certaines organisations commencent à structurer leurs données et à les valoriser grâce à l’intelligence artificielle. Ces outils permettent, par exemple, d’anticiper les cycles de turnover ou d’identifier des tendances en gestion des talents. Toutefois, la culture data-driven reste encore à ses balbutiements dans le domaine des RH.
Pour que la fonction RH tire pleinement parti du potentiel des données, elle doit adopter une vision globale : de la collecte à l’analyse, en passant par la gouvernance et le stockage. Cette transformation nécessite des outils adaptés, mais surtout d’adopter une culture de la Data.
Quels obstacles majeurs les organisations rencontrent-elles dans l’exploitation stratégique des données RH ?
Le principal frein réside dans la culture RH elle-même, historiquement centrée sur l’humain. De nombreux professionnels des RH associent encore la data à un domaine technique ou impersonnel, pouvant apparaître comme éloigné des dimensions humaines et sociales qui sont au cœur de leur métier.
Pourtant, l’humain et la data ne sont pas incompatibles, bien au contraire : ils se complètent. Les outils data-driven peuvent libérer les professionnels des RH des tâches répétitives en leur permettant de se concentrer davantage sur le Care Management.
L’adoption d’une culture de la data varie considérablement selon les organisations. Les grandes entreprises technologiques, grâce à leur expertise et leurs moyens, se positionnent souvent en leaders dans ce domaine. À l’inverse, les PME et les secteurs moins orientés vers la technologie rencontrent davantage de difficultés, souvent freinés par un manque de ressources dédiées et une focalisation sur d’autres enjeux prioritaires.
Quels usages de l’IA vous semblent aujourd’hui les plus prometteurs pour transformer la fonction RH, notamment en matière de recrutement et de gestion des talents ?
L’un des usages les plus révolutionnaires concerne, selon moi, les référentiels de compétences dynamiques. Les référentiels traditionnels, souvent figés, deviennent rapidement obsolètes, dans un contexte où les métiers et compétences évoluent à grande vitesse.
Prenons l'exemple des data scientists : il y a trois ans, ils devaient maîtriser le machine learning et des langages de programmation comme Python. Aujourd'hui, on attend d'eux qu'ils possèdent des compétences en grands modèles de langage (LLM comme ChatGPT), ainsi que la capacité à les entraîner et à assurer leur sécurisation, notamment en appliquant des techniques de fine-tuning (RAGs, LoRAs, etc…) pour adapter ces modèles à des tâches spécifiques.
Avec l’IA, il est désormais possible de générer des référentiels adaptatifs, ajustables en temps réel aux évolutions du marché. Ces outils analysent les attentes des employeurs, les tendances émergentes, et les profils disponibles pour créer des référentiels précis et pertinents. Cette capacité d’adaptation renforce l’agilité des processus de recrutement et de gestion des talents. Elle permet aussi une meilleure adéquation entre compétences recherchées et besoins organisationnels.
Si vous deviez projeter la fonction RH dans cinq ans grâce à l’IA et aux données, à quoi ressemblerait-elle ?
D’ici cinq ans, je suis convaincu que l’IA agentique sera largement démocratisée et incarnées par des avatars à notre image. Ces agents intelligents, bien plus avancés que les bots actuels, dépasseront le cadre des simples interactions pour agir de manière autonome et en notre nom. Par exemple, nous pourrons déléguer à un agent un processus administratifs complexe et multi tâche en toute autonomie. Il nous fera une synthèse une fois les travaux effectués pour validation.
Ce type de technologie libérera les équipes RH des tâches administratives répétitives. Elles pourront alors recentrer leurs efforts sur des enjeux stratégiques : la prévention de la santé mentale des collaborateurs, le dialogue intergénérationnel ou encore les initiatives RSE. L’objectif final sera de replacer l’humain au cœur des priorités, en lui consacrant davantage de temps et d’attention. Les compétences seront un enjeu majeur, nécessitant l'instauration d'une culture d'apprentissage continu pour compenser l'obsolescence partielle de certaines d'entre elles et leur hybridation croissante avec la technologie.
Quel serait votre principal conseil aux entreprises qui souhaitent s’engager dès aujourd’hui dans une transformation réussie grâce à la data et à l’IA ?
Je dirais que l’une des clés de la réussite consiste à adopter une approche progressive et méthodique. Il s’agit d’explorer les potentialités de l’IA à travers des expérimentations ciblées, plutôt que de précipiter la mise en œuvre de solutions complexes.
Je recommande l'adoption d'une charte éthique IA pour assurer une utilisation responsable de ces technologies. Cette charte devrait aborder des aspects essentiels tels que la légitimité des projets, la protection des données, la gestion des biais et l'intégration des principes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Une telle initiative permet de poser les piliers d’une gouvernance dédiée (Comité produit, comité éthique), rassure les équipes et facilite l'adoption.
Ensuite, privilégiez des initiatives simples et accessibles. Vous pouvez, entre autres, décider de déployer un chatbot interne ou automatiser des tâches administratives répétitives. Ces projets permettent de démontrer rapidement les bénéfices concrets de l’IA et d’acculturer les équipes à ces nouveaux outils. Cela vous permet également de travailler pendant ce temps à une gouvernance des données qui vous permettra par la suite de développer des cas d’usages à plus forte valeur ajoutée impliquant votre cœur de métier.
Une communication claire avec les collaborateurs est également de mise pour désamorcer leurs craintes, en montrant que l’IA est là pour soutenir leur travail, et non pour le remplacer.
Enfin, il peut être utile d’adapter votre rythme à celui de votre secteur. Si vos concurrents avancent rapidement, vous devrez accélérer votre transformation. Sinon, prenez le temps de bâtir une stratégie pérenne et réfléchie.
Pour en savoir plus, retrouvez Aurélien Fenard lors de l’une des tables rondes de HR Technologies France 2025 : “De la Data à l’IA : comment passer dès maintenant du discours aux actes ?” qui se tiendra le mercredi 29 janvier, de 14h30 à 15h20, en salle de conférence Pacifique. Cette session sera animée par Ouarda Guergour, fondatrice de Pivopoint.
*https://www.gartner.fr/fr/ressources-humaines/themes/intelligence-artificielle-dans-les-rh
Écrit par Thomas Duc, Responsable des conférences, Parlons RH.