Quels défis la fonction RH doit-elle surmonter pour tirer pleinement parti du potentiel de l’IA ?
Difficile de passer entre les gouttes de l’IA et des adaptations qu’elle impose. De l’automatisation des tâches à la personnalisation de l’expérience collaborateur, en passant par l’aide à la prise de décision, elle s’infiltre dans chaque recoin des pratiques RH en redessinant leurs contours à grande vitesse. Mais où en sont réellement les organisations dans l’intégration de ces technologies ? Quelles compétences les professionnels doivent-ils acquérir pour exploiter pleinement ce potentiel, et comment éviter les dérives liées aux biais algorithmiques ? Emmanuelle Blons, Vice-Présidente Associée chez Infosys et experte en transformation et gestion du changement, partage sa vision, ses exemples concrets et les opportunités qu’offre l’IA pour accompagner les mutations organisationnelles.
L’IA est aujourd’hui au cœur des discussions stratégiques dans les entreprises. Comment évaluez-vous le niveau d’intégration de l’IA dans les stratégies RH actuelles, et quels progrès reste-t-il à accomplir ?
Nous observons actuellement un double rythme d’adoption. Les grandes entreprises, grâce aux IA prédictives qu’elles ont déployées bien avant l’émergence de l’IA générative, ont pris une longueur d’avance. Elles bénéficient de données massives et de budgets plus conséquents qui leur permettent de suivre une feuille de route claire pour intégrer l’IA dans leurs processus RH.
En revanche, les PME en sont encore au stade de l’acculturation. Beaucoup commencent seulement à explorer les opportunités offertes par l’IA. Les très petites entreprises, quant à elles, n'en font un usage que très marginal. Toutefois, l’arrivée de l’IA générative pourrait changer la donne car cette technologie est plus accessible, tant sur le plan financier que sur celui des usages.
Selon vous, quelles compétences clés les professionnels RH doivent-ils développer pour exploiter pleinement les potentialités de l’IA ?
À mon avis, la première compétence clé est l’esprit critique. Les professionnels RH doivent éviter de se fier aveuglément aux résultats produits par une IA. Il leur faut les questionner et les challenger afin d’en garantir la pertinence et la fiabilité.
Ensuite, la culture de la donnée devient un prérequis. Historiquement centrée sur l’humain, la fonction RH doit désormais savoir lire, comprendre et exploiter les données pour révéler toute la dimension stratégique de l’IA.
La dimension éthique prend également une part de plus en plus importante. L’utilisation de l’IA soulève des interrogations majeures : comment garantir l’équité dans les décisions ? Comment préserver l’humain au cœur du processus ? L’IA ne doit pas se substituer à la prise de décision humaine, mais l’éclairer, en restant auditable et transparente.
Quels sont, selon vous, les principaux leviers offerts par l’IA pour accompagner efficacement les transformations organisationnelles ?
L’IA est une formidable opportunité pour les professionnels RH. Elle permet, par exemple, de réaliser des analyses de sentiments à partir de verbatims ou de résultats d’enquêtes, aidant ainsi à mieux comprendre le ressenti des collaborateurs face aux changements. Elle est également un accélérateur dans la création de contenus. Qu’il s’agisse de formations ou de communications internes, l’IA permet de produire des livrables plus rapidement en maintenant leur pertinence.
Selon moi, nous devons également recourir à l’IA pour le “change management”. Elle optimise les processus et simplifie l’analyse des données, sans remplacer pour autant le rôle des agents du changement ou des consultants, qui restent indispensables. En revanche, elle leur permet de se concentrer sur les actions stratégiques en automatisant certaines tâches opérationnelles.
Comment les entreprises peuvent-elles prévenir les biais algorithmiques, un sujet de plus en plus présent, et garantir une utilisation responsable et équitable de l’IA dans les processus RH ?
Nous avons la chance de bénéficier de l’IA Act, qui offre un cadre réglementaire clair. La première étape pour les professionnels RH est de s’assurer que leurs fournisseurs de solutions sont en conformité avec cette législation. Les entreprises ont jusqu’en 2026 pour se mettre en conformité, ce qui représente un chantier de taille.
Selon l’IA Act, les outils RH sont classés comme usages à haut risque. Cela implique des audits rigoureux et l’obtention d’un label de conformité, nécessitant une collaboration étroite entre les RH et leurs fournisseurs. Une étape incontournable pour garantir des pratiques responsables.
Avez-vous des exemples illustrant de quelle façon l'IA transforme concrètement les pratiques RH ?
Un exemple frappant est celui de Keolis, qui a remporté le grand prix IA et RH décerné par le Hub France IA pour sa solution novatrice de planification. Cette plateforme d’IA ne se limite pas aux contraintes opérationnelles classiques. Elle intègre également les préférences individuelles des chauffeurs de bus. Par exemple, leurs souhaits de travailler en soirée ou le week-end, leurs demandes spécifiques pour des jours de repos, ou encore leurs préférences pour certains types d’itinéraires sont pris en compte. L’IA combine ces données avec d’autres facteurs, tels que la disponibilité des véhicules, les réglementations sur le temps de conduite, ou les pics de demande de transport.
Les résultats sont probants avec une nette amélioration de la satisfaction des collaborateurs, une réduction notable du turnover, une optimisation des ressources, et une baisse des coûts opérationnels. Cette transformation numérique a permis à Keolis de créer un environnement de travail plus attractif pour ses collaborateurs et de renforcer ses performances opérationnelles.
Comment imaginez-vous l’évolution de la fonction RH dans les 5 prochaines années, notamment avec l’essor des nouvelles technologies et des innovations en IA ?
Je vois quatre grandes évolutions. Tout d’abord, l’IA facilitera la personnalisation de l’expérience collaborateur en permettant de créer des parcours de développement individualisés et une gestion des talents plus précise.
Ensuite, elle renforcera la prise de décision basée sur les données, grâce à l’analyse prédictive en temps réel, qui aidera à optimiser les recrutements, la formation, et la gestion des performances.
L’accent sera également mis sur le bien-être et la santé mentale des employés, un enjeu central pour 2025. Les outils d’IA permettront de mieux comprendre les besoins des collaborateurs et de les accompagner de manière plus proactive.
Enfin, l’IA jouera un rôle clé dans l’upskilling et le reskilling, en identifiant les compétences nécessaires et en proposant des formations adaptées pour préparer les talents aux métiers de demain.
Écrit par Thomas Duc, Responsable des conférences, Parlons RH.