L’Intelligence Artificielle : alliée ou ennemie du recruteur ?
Dans tous les domaines, l’Intelligence Artificielle (IA) progresse, innove, questionne, inquiète, fait débat. Le recrutement n’y échappe pas. Sourcing, tri de CV, analyse de données, matching préférentiel… le recrutement de demain est-il soluble dans l’IA ? Issus de nos équipes et de nos experts, les principaux arguments pour et les principales positions contre !
Pour l’usage de l’IA en recrutement
Les arguments en faveur de l’IA sont nombreux aujourd’hui. Parmi eux, citons notamment la possibilité de…
• Affiner les sélections
Les outils sont capables aujourd’hui de constituer et de balayer très rapidement des bases de données très riches, de compiler beaucoup d’informations, et d’en extraire l’essentiel en fonction des critères retenus.
• Enrichir les données
Les algorithmes peuvent également produire des données complémentaires, compiler et croiser des résultats, poser un regard neuf, enrichir ainsi des profils et limiter les risques d’erreurs en recrutement.
• Objectiver les décisions
Si un algorithme trie les CV, il les trie tous de la même manière. Si un paramètre ne figure pas dans les critères de sélection retenus, il n’en tiendra aucun compte, quoi qu’il arrive. Un recruteur n’est jamais aussi neutre, aussi équilibré. Le risque de discrimination est ainsi bien plus limité qu’avec un individu aux manettes, aussi bien intentionné soit-il. Et le résultat des tris est également plus objectif, donc plus facile à communiquer.
• Gagner / libérer du temps
Plus de candidatures balayées, triées, classées, enrichies, pesées, présentées en un minimum de temps… les équipes RH gagnent du temps, beaucoup de temps. Elles peuvent donc se concentrer sur l’essentiel : l’accueil du candidat, l’échange avec lui, l’évaluation de sa compatibilité réelle et vivante (avec le manager, l’équipe, les valeurs de l’entreprise), la vente du poste, la préparation de l’on-boarding etc.
Contre l’usage de l’IA en recrutement
Si les bénéfices semblent ainsi évidents, des voix s’élèvent cependant - sur d’autres plans – pour en nuancer ou en contester l’intérêt. On peut reprocher ainsi potentiellement à l’Intelligence Artificielle de…
• Cloner le passé
Qui dit algorithmes dit données d’entrée, critères de choix, intentions de départ. Et ces données ne sont ni neutres ni parfaites. Stéphanie Lecerf, DRH France de Page Group et Présidente de l’association A Compétence Egale s’inquiète ainsi : « Les algorithmes travaillent sur des données disponibles donc, par nature, passées en se fondant sur des indicateurs de performance de personnes déjà en poste. Ce sont d’abord des machines à reproduire. Or, nous avons besoin aujourd’hui - plus que jamais - de diversité, nous avons besoin d’innover, nous avons besoin d’imaginer de nouvelles compétences pour des métiers connus, et de projeter des compétences connues dans des métiers nouveaux, là où justement il n’y pas d’historique. »
• Développer un biais d’autorité
Le recours aux outils offre ainsi un confort réel… donc la possibilité d’une déresponsabilisation active ! Pourquoi prendre le risque d’une décision personnelle en effet si je peux m’en remettre à l’outil… et me défausser ainsi prudemment de ma responsabilité ? Après tout, les décisions RH sont toujours des paris, les erreurs en recrutement sont fréquentes… pourquoi les endosser ?. En acceptant aveuglément les recommandations des outils, supposées objectives et scientifiques donc infaillibles, je cours en effet le risque de développer un biais d’autorité d’un nouveau type…
• Déshumaniser le recrutement
CV identifiés, analysés et triés souvent à l’insu même du candidat, sans même qu’il ait fait acte de candidature parfois, analyses conduites à partir de tests passés en ligne, seul, à distance, le recours à l’IA participe d’un éloignement des recruteurs et des candidats. Or, le télétravail a déjà contribué à distendre les liens, et le recours massif au téléphone et à la visio en recrutement a distancié encore la relation à l’entreprise. L’usage de l’IA ne doit pas s’inscrire ainsi dans une déshumanisation croissante qui pourrait se retourner contre l’entreprise en réduisant toujours plus l’affectio societatis et l’engagement.
• Vider la fonction de recrutement de son sens et de son intérêt
Si l’IA identifie, trie, choisit, recommande… au fond je sers à quoi ? C’est quoi mon job ? A-t-il encore un intérêt ? Peut-on encore y attirer des candidats de valeur ?
Pour une synthèse… raisonnée !
Dominique Duquesnoy, Directeur Général de PerformanSe, aime à le rappeler : « Un algorithme est toujours aveugle sans un esprit éclairé pour le guider… Mais un individu est généralement moins efficace sans outil sur lequel s’appuyer ! » Il y a ainsi une logique à chercher à concilier les deux dimensions, et non à les opposer. Parce que deux intelligences valent toujours mieux qu’une, pourquoi ne pas chercher à conjuguer intelligence humaine ouverte, intuitive, émotionnelle, et intelligence dite « artificielle », rapide, objective, analytique ? Pour un mode résolument hybride où :
• L’IA apporte ses qualités de vitesse et d’objectivité, sa capacité à identifier de l’information, l’enrichir et la traiter rapidement.
• Le recruteur reste aux commandes, choisit les données pertinentes, les outils et les processus à mettre en œuvre. Puis supervise le processus d’ensemble, s’assure de son équilibre et de sa cohérence. Et au-delà veille au plus difficile, au plus subtil, ce qui relève de l’analyse, de la découverte et de la décision, de l’envie et de l’intégration.
Pour nous, l’IA ne fera pas disparaître le recruteur. Elle devrait seulement lui simplifier la tâche en amont pour lui offrir du temps et de la disponibilité en aval. Afin de réduire doublement le risque d’erreurs en recrutement :
• Par une sélection ainsi mieux faite au départ, sur des bases plus larges, plus objectives et plus systématiques.
• Par une validation mieux assurée ensuite en aval, sur des bases de disponibilité plus grandes, guidée par une information plus riche.